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« Amours manquées » (Loved and Missed), de Susie Boyt, traduit de l’anglais par Stéphane Vanderhaeghe, La Croisée, 240 p., 22 €, numérique 15 €.
On referme Amours manquées dans un mélange d’émerveillement face à la splendeur de ce livre et de reconnaissance à l’égard de l’autrice pour la puissance des émotions qu’elle y fait circuler. Taraudé par une question, aussi : comment est-il possible que le septième roman de la Britannique Susie Boyt soit le premier traduit en français ? L’écrivaine y témoigne d’un savoir-faire littéraire et d’une connaissance du cœur humain admirables. Les authentiques sanglots qu’elle provoque chez le lecteur tiennent à la retenue même de tout le récit.
Cette retenue est celle de Ruth, une femme courageuse, sarcastique, solitaire. Après que sa fille toxicomane, Eleanor, a donné naissance à Lily, Ruth s’arrange pour garder l’enfant auprès d’elle et l’élever, en vivant dans une double crainte permanente : celle du jour où Eleanor voudra reprendre Lily et celle de la mort d’Eleanor. Cette peur plane sur le récit sans jamais être clairement formulée par Ruth. De façon générale, la narratrice prend garde de mettre des mots trop précis sur les choses, et notamment sur la condition de sa fille (elle excelle, en revanche, à pointer ses propres erreurs et défauts). Non qu’elle se voile la face. Mais ne pas parler d’« aiguille », d’« héroïne » ou d’« overdose », ne pas figer l’état d’Eleanor par le langage est sa façon de l’aimer.
Depuis le bureau de son appartement londonien où elle accorde un entretien au « Monde des livres », Susie Boyt se souvient de la manière dont les prémices du roman lui sont venues. « L’année où ma mère est morte, je ne pouvais pas supporter l’idée de passer Noël comme d’habitude à Londres, et je suis partie avec mon mari et mes filles à Miami – fallait-il que j’aille mal ! Le 24 décembre au soir, nous sommes allés au cinéma, et, en sortant, nous sommes tombés sur un grand monument rose, qui s’est avéré une église spécialisée dans les problèmes de santé mentale. En y entrant, on a vu des gens qui étaient visiblement alcoolisés ou drogués. Je me souviens de deux petites filles aux manteaux en matière synthétique juste à côté de grands cierges branlants ; je les surveillais d’un œil en écoutant le sermon, qui portait sur le chagrin, ce qui tombait à pic pour moi. Il y avait dans cet endroit de l’empathie mais aussi une atmosphère menaçante. J’ai eu envie d’un livre traversé par des courants d’amour forts, mais d’un amour insuffisant, inopérant. » Ce moment a en particulier inspiré le chapitre sur le baptême de Lily, où chacun, prêtre compris, tente de faire bonne figure, et qui aboutit au moment où Ruth retire Lily à ses parents, à la fois dickensien en diable et remarquablement théâtral.
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